Une Histoire d'envols et détours

Une Histoire d'envols et détours

Mademoiselle et pizza

Je peinais à reprendre ce blog, ne sachant trop vers quel thème me tourner.

Aujourd'hui, j'ai juste envie de raconter ma journée, car elle met en lumière plusieurs problèmes de société auxquels je suis confronté.e.

 

Pour l'instant, l'adresse de ce blog est encore au nom de Dame de Keur, mais je l'ai renommé Damoixe de Keur, ce qui ne me plaît pas encore tout à fait... Passons.

Je suis non-binaire (je ne m'identifie ni au genre féminin ni au genre masculin).

Je suis vegan (je ne consomme pas/le moins possible de produits animaux).

La société me déteste (je suis condamné.e à me sentir illégitime et nié.e).

 

La journée a bien commencé. Je suis allé.e avec des amies faire un tour en ville. À midi, j'ai trouvé un wrap au humus végétalien, parfait.

L'après-midi,  j'allais visiter un local commercial avec ma maman et c'est là que ça se complique un peu. Pour elle, je serais toujours "sa fille", elle a accouché "d'une fille" (la sage-femme lui a dit). Elle me présente donc au propriétaire comme "sa fille". Je ne lui en veux pas, car je sais que pour elle, ce terme ne s'associe à aucun cliché de genre, aucune obligation sociétale, elle me connaît comme je suis. Et j'avoue, moi aussi je trouve ça moyen de dire "C'est mon enfant", c'est rattaché à quelqu'un de petit (en âge, en taille). Je suis adulte et donc toujours à la recherche d'un terme approprié.

Présentations faites, je suis donc catégorisée. "Ah, votre fille." *regard de bas en haut* (Disons que je me fais des idées, ça aide à faire croire que c'est pas grave ni embarrassant.)

Bon, visite et tout, c'est pas important.

Nous ressortons pour poser des questions au proprio resté dehors et attendons qu'il ait fini sa conversation avec un passant de sa connaissance. Tout deux regardent dans notre direction. Ils parlent de la moto qui est derrière nous. Nous nous écartons et ils se sentent obligés de se justifier:

"Pardon Mesdames, on ne parlait pas de vous."

"On parlait de "belle carrosserie", mais pas à propos de vous."

"Je ne me permettrais pas de parler de "bonne affaire" en parlant d'une femme."

Ou comment démentir les oppressions du patriarcat en les renforçant.

Je ne sais pas trop si ma maman fait semblant de rire par habitude ou ne se rend même pas/plus compte que c'est totalement irrespectueux et que ça contribue à chosifier la femme.

Bref, je me prends encore du "Au revoir mademoiselle" et c'est la fin de ce moment oppressant. Évidemment c'est "ma faute", je n'ai rien expliqué/précisé Et il ne "peut pas savoir". Je suis quand même révolté.e qu'on ait constamment besoin de ramener une personne à son genre pour pouvoir lui parler et interagir avec elle. Franchement je ne saurais pas à quoi m'attendre si je démentais tout de suite:

"Bonjour mademoiselle."

"Bonjour, désolé, je ne suis pas une mademoiselle. Ni madame."

("Mais vous êtes quoi alors !?")

Je ne sais pas du tout ce que ça répondrait, je n'ai jamais essayé.

Je n'ai pas encore de solution.

 

Le soir, remise de diplôme de mon frère. Il rafle toutes les distinctions. On me présente comme "la soeur". Évidemment j'ai déjà précisé que je préférais "adelphe", "geschwister" ou "sibling", mais on va pas déranger avec ça, on n'est pas là pour ça... =(

Apéro à l'extérieur. Je me procure un verre d'eau. Ma grand-mère me demande si vraiment je ne veux pas goûter les "boules à tremper dans les sauces". J'explique calmement que comme on ne peut pas avoir accès à la composition, je préfère ne pas prendre de risque et que de toute façon je n'ai pas faim. Ce qui ne l'empêche pas de me redemander encore deux ou trois fois, pour être sûr, "tu ne veux pas juste goûter ?". Elle ne comprend pas le principe d'éviter de manger quelque chose pour le bien de son corps, des animaux et de la planète. Ben oui, personne ne lui a jamais expliqué, elle vit sans se poser de questions dans une société qui l'aime beaucoup. C'est encore ma faute.

Mon frère émet le souhait de commander des pizzas pour le souper. Pas de souci, ils rentrent à la maison les manger, je mangerai chez nous.

À peine arrivés, père, frères et grand-mère s'attablent avec leurs pizzas pendant que maman et moi réchauffons des falaffels au four. Cela prend évidemment un petit peu plus de temps.

"Tu veux goûter ?"

Déjà passablement énervé.e je dis que non merci, je ne cautionne pas ça. (Évidemment le "ça" est trop vague, j'aurais dû dire "Non merci, je ne cautionne pas d'arracher un veau par année à la vache qui a produit ce fromage, mon corps ne souhaite pas ingurgiter de lait adapté uniquement au veau et la planète n'est pas hyper heureuse de l'élevage de masse qui produit beaucoup de gaz à effet de serre, abîme les sols et engloutit une énorme partie de la production alimentaire qui pourrait aller directement aux humains." Mais les belles tirades, ça me vient toujours après coup. "Ça", elle ne sait pas ce que c'est, pas besoin de poser de question.) Elle a encore le temps de s'inquiéter plusieurs fois "mais qu'est-ce que tu vas manger !?" (maman étant invisible). Dans ma propre maison, il est évidemment inconcevable que je puisse me nourrir si je n'ai pas commandé la même chose qu'eux au même moment.

Je m'amène finalement avec trois falaffels (les autres restant au chaud).

"Tu vas avoir assez avec ça ?"

Elle demande ce que c'est, ne semble pas convaincue, me demande si je n'ai plus envie de ça, des autres plats (genre la pizza). Je réponds que non, quand je sais ce qu'il y a dedans. Elle ne sait pas ce qu'il y a de mal à "ce qu'il y a dedans". C'est ma faute, je n'explique pas. Et du coup elle ne pose pas de questions.

Mon père amène le sujet sur "je fais parfois des écarts" (oui, quand je suis de sortie et que j'emmerde vraiment tout le monde à "faire la difficile", en dernier recours, un repas seulement végé peut convenir) et du coup comme on n'a pas le temps de bien développer des arguments, je perds toute crédibilité.

 

Je me couche beaucoup trop tard, mais il fallait que j'écrive. C'est dingue comme quelques problèmes de société peuvent m'énerver au point d'oublier que j'ai passé un super moment avec mes copines et que je suis hyper fièr et heureux.se pour les prix et distinctions de mon frère.

Je dois encore faire quelques ajustements de mon côté, mais j'espère aider à et voir venir l'évolution et l'acceptation de tout côté.

 

Keur keur <3



30/06/2016
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